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Analyse genre des budgets
mardi 7 octobre 2003
Plus que tout autre instrument, un budget national ou local reflète les priorités sociales et économiques d’un gouvernement. C’est à travers les budgets que les politiques et les programmes sont traduits en termes d’allocation des ressources. La budgétisation sensible au genre est donc essentielle pour une planification équitable, pertinente et efficace des ressources. Ce texte présente les principaux enjeux et outils de la budgétisation sensible au genre, une bibliographie et une liste de liens utiles en bas de page.
Ce texte a été écrit par Simel Esim de la Asia Foundation (janvier 2000) dans le cadre des travaux du International Centre for Research on Women (ICRW - voir coordonnées en bas de page) sur les budgets genre. Il a été traduit par Claudy Vouhé à l’occasion de l’atelier budgétisation et planification nationales sensibles au genre organisée par la Division pour la Promotion des Femmes des Nations Unies au Mali, en février 2003.
Pourquoi l’analyse genre des budgets ?
Plus que tout autre instrument, un budget national ou local reflète les priorités sociales et économiques d’un gouvernement. C’est à travers les budgets que les politiques et les programmes sont traduits en termes d’allocation des ressources.
La formulation d’un budget à l’aide des pratiques économiques classiques peut sembler neutre en termes de genre. En effet, il n’y est pas fait référence aux différents droits, responsabilités et capacités des femmes et des hommes dans la société. Néanmoins, les allocations budgétaires transmettent et reproduisent des partis pris en genre à travers toute une société.
Examiner les budgets à travers une lunette genre permet d’identifier des manques et des décalages entre l’accès et la distribution des ressources publiques. Il ne s’agit pas de budgets formulés séparément pour les femmes et les hommes. Au contraire, l’objectif de l’analyse genre des budgets est de redéfinir les priorités et d’allouer des ressources pertinentes qui répondent aux besoins de toutes les sections de la population, en prenant en compte de façon explicite la position désavantagée des femmes. Les budgets sensibles au genre permettent de promouvoir l’équité et l’efficacité.
Quels sont les outils ?
Rendre le processus de budgétisation plus sensible au genre nécessite un certain nombre d’outils et de techniques qui doivent être accessibles et compréhensibles pour les représentants de la société. Il n’y a pas de recette, mais des outils clefs ont été identifiés par Diane Elson (1999).
Analyse genre des politiques
Cette analyse évalue les politiques derrière les budgets pour identifier leur impact potentiel sur les femmes et les hommes. Ceci revient à examiner les politiques et les services gouvernementaux en posant la question suivante :
« Est-ce que les politiques et les ressources allouées risquent de réduire, d’augmenter ou de laisser indemnes les inégalités entre les femmes et les hommes ? »
Cette analyse permet d’identifier les écarts, les limitations et de comparer les ressources avec les intentions de la politique.
Par exemple, le groupe « femmes et budgets », une ONG en Grande Bretagne, a fait une analyse de la politique de la TVA et son impact sur les femmes dans les ménages pauvres. Ces impôts indirects, prélevés sur les biens de consommation représentent jusqu’à 30% du revenu du gouvernement. Les résultats ont montré que les femmes en tant que gestionnaires des dépenses liées au ménage contribuent de façon disproportionnée à la TVA. L’ONG a pu convaincre le gouvernement de baisser la TVA sur certains articles.
Analyse désagrégée des bénéficiaires
Cette technique de recherche est utilisée pour collecter et analyser les opinions des femmes et des hommes qui sont les bénéficiaires des programmes des gouvernements. L’objectif est de savoir dans quelle mesure les services en place répondent à leurs besoins et dans quelle mesure les allocations budgétaires pratiquées par le gouvernement sont en accord avec leurs priorités.
Des sondages, des enquêtes sur le comportement des consommateurs et des groupes de discussion sont parmi les techniques utilisées. Des assemblées publiques pour diffuser des informations relatives au budget peuvent aussi être organisées par les ministères des femmes/genre et des comités parlementaires afin de permettre aux bénéficiaires de discuter des dépenses publiques et des priorités avec une perspective genre.
Analyse désagrégée de l’incidence des dépenses publiques
Cette méthode permet de comparer dans quelle mesure les hommes et les femmes (filles/garçons) bénéficient des dépenses pour les services publics - en utilisant des données tirées des enquêtes sur les ménages - afin d’évaluer la distribution des dépenses publiques selon le genre. Les ministères des Finances et les ministères responsables de la provision des services publics sont les plus à mêmes d’utiliser ce type de technique de recherche.
A tire d’exemple, des chercheurs de la Banque Mondiale et le Gouvernement du Ghana ont conduit une étude élargie sur la pauvreté en 93-94 qui a permis de collecter des données sur l’allocation des ressources publiques et le comportement des ménages dans l’utilisation des services publics. L’analyse a montré qu’il y avait des différences dans la distribution des dépenses sociales au Ghana, surtout dans l’éducation. Au niveau national, les filles recevaient 45% des subventions au primaire, alors que leur taux d’inscription est de 65% (1/3 plus élevé que les subventions). Ce parti pris genre était plus marqué parmi les ménages plus pauvres mais se retrouvait dans tous les niveaux de revenu (Demery 1997).
Analyse désagrégée de l’impact du budget sur l’utilisation du temps
Il y a trois types d’utilisation du temps :
Le travail rémunéré
Le travail non rémunéré
Les loisirs
Cependant, les théories néo-classiques de l’économie n’en reconnaissent que deux : le travail rémunéré et les loisirs. Il en résulte qu’une grande partie du travail des femmes n’est pas comptabilisé dans les recettes nationales car il a lieu hors de la sphère du marché formel du travail, c’est à dire dans la production de subsistance, l’emploi informel, le travail domestique et reproductif et le travail bénévole et communautaire.
L’analyse désagrégée de l’impact du budget sur l’utilisation du temps examine la relation entre le budget national et la façon dont le temps est utilisé dans les ménages. Ceci est fait dans le but de mettre en évidence la valeur du travail non rémunéré qui devrait être pris en compte dans l’analyse des politiques. Les Offices de statistiques nationales sont les principales institutions qui, dans les pays, ont la capacité d’élaborer des comptes de recettes « satellites » qui mesurent le travail non rémunéré.
Grâce aux « comptes satellites », un progrès important a été réalisé dans l’élaboration de concepts, de méthodologies et d’applications pratiques pour l’incorporation du travail non rémunéré dans les comptes nationaux pendant les deux dernières décennies. Dans le système des comptes nationaux (SNA), les lignes directrices qui déterminent le Produit Intérieur Brut (PIB) ont été révisées afin d’inclure tous les biens produits au niveau du ménage, et, par extension, les activités liées à la production. Bien que le travail domestique et les services personnels (ex. la préparation des repas et les soins des enfants) ne soient pas inclus, les nouvelles lignes directrices suggèrent l’élaboration de concepts alternatifs pour le PIB. Les ONG peuvent contribuer à la collecte de données précises sur l’utilisation du temps en évaluant l’utilisation du temps dans les ménages à l’aide de tableaux de bord.
Qui utilisent ces méthodes ?
Bien que des Initiatives Budgets Genre (IBG) existent depuis 20 ans, c’est seulement à partir de 1995 (Conférence des Femmes de Beijing) qu’elles ont été reconnues et utilisées comme outils pour la mise en œuvre et le suivi des engagements, recommandations et des plans d’action pour le genre. Les IBG peuvent être mises en œuvre par les gouvernements, la société civile ou des partenariats entre les deux.
L’IBG du Secrétariat du Commonwealth a été établie en 1996 et mise en œuvre par des ministères dans les pays aussi divers que La Barbade, Fidji ou le Sri Lanka. D’autres gouvernements ont adopté des formes d’IBG (le Bangladesh, l’Inde, la Norvège et la Suisse - Budlender 2000). Les représentants officiels sont inquiets des coûts des partis pris genre qui débouchent sur des productions faibles (résultats) et gênent le développement des ressources humaines. Au niveau national, la participation des Ministères des Finances est particulièrement importante.
D’autres IBG - le Budget Femmes d’Afrique du Sud et le Forum des Femmes dans la Démocratie (FOWODE) en Ouganda - ont été menées à travers des partenariats stratégiques entre des ONG et le corps parlementaire. Généralement, ces initiatives ont mis l’accent sur la ré-orientation des priorités plus que sur l’augmentation des dépenses publiques afin de formuler de meilleures politiques et d’atteindre une plus grande démocratisation des processus de budgétisation. Au Canada, au Malawi, au Mexique, aux Philippines, au Zimbabwe et en Tanzanie, les acteurs ont lancé des analyses genre des processus de formulation des budgets nationaux et locaux.
La société civile cherche à faire reconnaître la contribution des femmes au marché et dans l’économie des soins (des enfants, des personnes âgées, des malades) et du leadership qu’elles exercent dans la société. En plaidant pour la transformation des politiques, ceux qui font la promotion des pratiques sensibles au genre et de l’inclusion des femmes dans la budgétisation espèrent ainsi arriver à un engagement politique soutenu et continu. Ces divers efforts ont conduit à un meilleur accès à l’information et à la collecte d’informations et de données nécessaires à l’examen des budgets. Ils ont aussi mis en évidence les besoins des plus pauvres et des moins puissants.
Soutien des bailleurs
Les organisations multilatérales telles que le Secrétariat du Commonwealth, le Fonds des Nations Unies pour les Femmes et le PNUD, ont soutenu le travail sur les budgets genre. Ces initiatives sont aussi largement soutenues par les organisations bilatérales (le Canada, le Danemark, l’Allemagne, les Pays Bas, la Norvège, la Suède, la Suisse et la Grande Bretagne). Des fondations privées (Asia Fondation et la Ford Fondation) soutiennent aussi ce travail.
Impact des Initiatives Budget Genre
Parce qu’elles sont nouvelles, il est difficile d’évaluer l’impact des IBG sur les différents groupes de population. La prolifération des IBG à travers le monde et l’augmentation du nombre des actions engagées sur les processus de budgétisation dans le but de promouvoir l’égalité femme-homme, sont des indicateurs de leur potentiel. Plus important encore, cette nouvelle façon d’analyser les dépenses et les recettes publiques a permis de renforcer la capacité des gouvernements, des institutions de recherche et de la communauté des ONG. Elle a aussi permis de catalyser des alliances nouvelles entre des groupes qui plaident pour l’analyse genre.
Les nouvelles initiatives ont aussi contribué à une plus grande transparence et une responsabilisation des processus de budgétisation dans les pays. UNIFEM a insisté sur le fait que le succès repose sur la collaboration entre trois groupes :
Des officiels élus qui souhaitent le réforme au niveau national/local
Des institutions gouvernementales qui fonctionnent, avec des employés engagés et compétents
Des groupes communautaires et des ONG actifs et informés (Carr 2000)
En plus, la formulation des budgets sensibles au genre a ouvert un important processus social de dialogue et de négociation impliquant les femmes.
La suite ?
Il reste beaucoup à faire dans la recherche et la démarche IBG. Diverses institutions, y compris le ICRW travaille pour apporter des réponses. Les futures directions de ce travail incluent :
Renforcer les outils de l’analyse genre pour les budgets et collecter des données désagrégées plus précises (UNIFEM soutient cette démarche) ;
Développer des résumés des « leçons apprises » avec les types d’analyse et des exemples ;
Conceptualiser des études et des outils pour mieux comprendre l’aspect « recettes » des budgets (ex. analyser les contributions des usager/es, les taxes douanières, de quelle façon la TVA et les impôts en général changent la négociation dans les ménages) ;
Conceptualiser des études et des outils pour mieux comprendre l’aspect « dépenses » des budgets, par ex. la réduction des allocations et l’utilisation du temps.
En plus de la recherche, les parties prenantes dans les IBG (en particulier les organisations et les Départements impliqués dans les Droits des Femmes) ont besoin de construire des alliances avec d’autres acteurs qui plaident pour la transparence, la responsabilisation (accountability) et la participation publique aux processus de budgétisation.
Resources bibliograhiques
Budlender, Debbie. 2000. "A Review of Gender Responsive Budget Initiatives." A report of a global assessment commissioned by the Commonwealth Secretariat. Community Agency for Social Enquiry (CASE). Johannesburg, South Africa. Mimeo.
Çağatay, Nilufer, et. al. 2000. "Budgets As If People Mattered : Democratizing Macroeconomic Policies." UNDP SEPED Conference Paper Series # 4. May. http://www.undp.org/seped/publications/budgets.pdf
Carr, Marilyn. 2000. "Overview of the Gender Budget Work of the United Nations Development Fund for Women (UNIFEM)." Paper presented at "Inter-Agency Workshop on Integrating Gender into Government Budgets," London, 26-27 April.
Demery, Lionel. 1997. "Gender and Public Social Spending : Disaggregating Benefit Incidence." Poverty and Social Policy Department, World Bank. Washington, DC.
Elson, Diane. 1999. "Gender Budget Initiative." Gender and Youth Affairs Division Background Papers. Commonwealth Secretariat. London.
Elson, Diane and Nilufer Çağatay. 1999. "Engendering Macroeconomic Policy and Budgets for Sustainable Human Development." Paper presented at the First Global Forum on Human Development, 29-31 July. UNDP. New York.
Esim, Simel. 2000. "Gender Sensitive Budget Initiatives for Latin America and the Caribbean : A Tool for Improving Accountability and Achieving Effective Policy Implementation." Paper prepared for the "Eighth Regional Conference on Women of Latin America and the Caribbean," Lima, 8-10 February. ICRW. Washington, DC.
Esim, Simel. 2000. "Impact of Government Budgets on Poverty and Gender Equality." Paper prepared for the "Inter-Agency Workshop on Integrating Gender into Government Budgets," London, 26-27 April. ICRW. Washington, DC.
Falk, Stefan and Isaac Shapiro. 1999. "A Guide to Budget Work : A Systematic Overview of the Different Aspects of Effective Budget Analysis." The International Budget Project, Center on Budget and Policy Priorities, September. Washington, DC.
International Budget Project. 2000. "A Taste of Success : Examples of the Budget Work of NGOs." The International Budget Project, Center on Budget and Policy Priorities, September. Washington, DC.
McCaffery, Edward. 1997. Taxing Women. Chicago : University of Chicago Press.
Nelson, Julia. 1996. "Feminist Theory and the Income Tax," in Julia Nelson. Feminism, Objectivity and Economic. London : Routledge.
Randall, Margaret. 1996. The Price You Pay : The Hidden Cost of Women’s Relationship to Money. New York : Routledge.
Stotsky, Janet. 1996. "Gender Bias in Tax Systems." IMF Working Paper, September.
UNIFEM. 2001. "UNIFEM Currents," The Electronic Newsletter of UNIFEM’s Activities. May.
Pour en savoir plus
consultez les travaux du ICRW
la Division pour la promotion des femmes
le Commonwealth Secretariat
International Budget Initiative
Des outils en français sur le site de la Commission sur le Statut des Femmes (canada) Status of Women Canada
UNDP
le kitactu de Bridge en français
le rapport en français de l’atelier budgétisation et planification nationales sensibles au genre
gender responsive budgets initiative ... voir leur liste de liens très utiles ! !
Base de données GAIA
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Simel Esim