Genre en action

Réseau international francophone pour l’égalité des femmes et des hommes dans le développement.

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Coopération décentralisée : enjeux, opportunités pour l’égalité femmes-hommes

dimanche 4 janvier 2004

Dès 2003, le Réseau Genre en Action a lancé une discussion sur les liens entre le genre et la coopération décentralisée. Voici le compte rendu de la réunion du Réseau Genre en Action qui s’est tenue à Bordeaux le 3 novembre 2003 sur le thème ’genre et coopération décentralisée.

Compte rendu de la réunion organisée par le réseau Genre en Action [[<1>écrit par Isabelle DROY et Aurélie LATOURES

Participants :
- Claudy Vouhé : Réseau Genre en action

- Kamala Marius – Gnanou : maître de conférences, UMR ADES-Tempos Bordeaux III

- Isabelle Droy : chargée de recherche, IRD UMR C3ED

- Romain Rollant : Chargé de mission « parité » ville de Blanquefort
- Pierre-Jean Roca : directeur IFAID Aquitaine

- Aurélie Latoures : doctorante CEAN

- Michel Cahen : directeur adjoint du CEAN

- Sabrina Guérard, Bureau du développement social, MAE

- Karine Petitberghien : chargée de la formation, IFAID

- Alicia Bruce : VSVP

D’autres membres du réseau n’ont pas pu être présents mais ont apporté leurs contributions par l’intermédiaire du forum électronique mis en place sur le site du réseau. Les lire ici]

La question posée est de voir comment les coopérations décentralisées prennent-elles (ou ne prennent-elles pas) en compte, de façon transversale et systématique, le fait que les femmes et les hommes ont des besoins, obstacles, opportunités, solutions et moyens souvent différents et inégaux dans la plupart des domaines.

La coopération décentralisée

Au préalable, un rapide panorama de la coopération décentralisée est nécessaire. L’étude réalisée par l’IFAID en 2002 fournit des clés pour mieux comprendre les démarches engagées dans ce cadre ainsi que les atouts et le faiblesses de cette forme de coopération Nord-Sud.

La définition même du terme de coopération décentralisée a un sens différent dans le cadre français et dans le cadre européen. En Europe, la coopération décentralisée regroupe tous les acteurs non étatiques. En France on appelle coopération décentralisée les actions de collectivités locales et territoriales orientées vers d’autres collectivités locales et territoriales.

La loi de 1992 sur la décentralisation limite le cadre de la coopération internationale aux champs de compétences propres des collectivités (par exemple, une commune qui gère des déchets est capable d’aller à l’autre bout du monde pour aider une autre commune à gérer ses déchets). Cependant, actuellement d’autres collectivités peuvent déborder de leur champ d’action local : si le cadre législatif ne l’empêche pas, il ne l’encourage pas non plus. Après des débuts assez informels marqués par des relations interpersonnelles (avec par exemple les jumelages), les collectivités les plus importantes se sont progressivement dotées de services de relations internationales professionnalisés.

Par rapport aux coopérations bilatérales ou multilatérales, la coopération décentralisée permet de travailler à un niveau d’intervention plus local et donc d’avoir une plus grande proximité avec la population, ainsi qu’un dispositif plus léger. Mais les compétences dans le domaine des relations internationales restent souvent limitées et en deçà de celles des acteurs étatiques. La coopération décentralisée peut être très ouverte, mais cependant, les thématiques restent souvent marquées par les divisions sectorielles de la coopération française (développement rural, santé, éducation) et les thèmes transversaux comme l’environnement, le genre ou la lutte contre la pauvreté, sont rarement affichés.

Acteurs et procédures

En France, la « société civile » (collectivités locales, associations, groupements etc..) est l’acteur et le partenaire privilégié de la coopération décentralisée. L’avantage de cet acteur est qu’il offre l’opportunité de traiter des questions peu ou mal prises en compte par les coopérations bilatérales ou multilatérales, mais qu’il peut aussi être un moyen de contourner l’Etat, ses politiques publiques et ses engagements internationaux. De plus, il ne faut pas éluder la question de la réelle représentativité de ceux qui se définissent comme étant la « société civile ». Par exemple, en travaillant de collectivité locale à collectivité locale, l’acteur du Nord ne se pose pas la question de savoir si son homologue au Sud est représentatif de toutes les catégories, y compris celles qui sont marginalisées dans les instances locales (ce qui est souvent le cas des femmes). Enfin, le risque de dispersion des actions est particulièrement élevé par la multiplication des projets qui ne sont pas coordonnés entre eux. Pour pallier ces difficultés, une commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD) a été récemment été mise en place pour recenser et harmoniser ces actions.

Par définition, les procédures de sélection des projets et de financement sont déconcentrées et donc propres à chaque collectivité. Il existe cependant des procédures de cofinancement (faisant intervenir les collectivités locales et un acteur étatique, le Ministère des Affaires étrangères -MAE ; celles-ci sont toutefois difficilement accessible aux petites communes. Le contrôle du MAE est essentiellement budgétaire et porte peu sur les contenus, ce qui limite les possibilités d’introduire un critère « genre » ou réduction des inégalités hommes-femmes dans les fiches de projets. Il n’existe pas d’évaluation ex-post, sauf pour les très gros projets de coopération décentralisée.

La collectivité territoriale est un acteur nouveau qui reste à structurer et à professionnaliser dans le cadre de la coopération décentralisée. La qualité des projets de coopération décentralisée est inégale et les formes d’intervention assez hétérogènes : pour les petites collectivités, il s’agit encore surtout de jumelages, d ‘échanges de fonctionnaires territoriaux, de création de liens culturels, mais pas de réels projets de développement.

L’exemple de l’Aquitaine

En Aquitaine, trois groupes d’acteurs interviennent dans la coopération décentralisée :

- les ONG et associations, regroupées au sein du RADSI, (réseau aquitain de développement et de solidarité internationale),

- les Universités et la recherche notamment l’université de Bordeaux II.,

- les collectivités territoriales, au premier rang desquels se trouve le Conseil Régional.

Depuis 2002, le Conseil Régional a mis en place un dispositif original axé sur 3 volets :
- des actions spécifiques dans un certain nombre de pays (Vietnam, Roumanie, Maroc, Madagascar) qui sont menées directement par le Conseil Régional,

- des financements de projets pour les associations et ONG examinés par un comité consultatif régional pour la coopération internationale (en 2003, 18 projets de cofinancement de 6000 euros par projet, dont un explicitement pour l’accompagnement des groupements féminins au Sénégal).

- la mise en place d’un réseau d’appui aux acteurs ; ce volet est encore en cours de montage.

Genre et coopération décentralisée

La coopération décentralisée est à l’intersection de plusieurs processus qui mettent en jeu de nombreux acteurs. Quelle est la prise en compte du genre à travers ces différents processus ?


- au sein des processus réglementaires : dans les documents régissant la coopération décentralisée (décrets, lois, guides, travaux du HCCI), les questions de genre n’apparaissent pas ou sont noyées dans les questions génériques.

- la coopération décentralisée est étroitement liée au processus de décentralisation ce qui pose de nouvelles questions sur l’implication des femmes (prise en compte de leurs besoins, de leurs intérêts etc.)

- la coopération décentralisée est aussi liée au développement de la parité en France : on peut s’interroger pour savoir si les femmes sont impliquées dans le choix des partenaires et activités de la coopération décentralisée.


Les principales questions qui se posent sont les suivantes :

- dans quelle mesure les collectivités décentralisées se sentent elles investies des engagements de l’Etat français (par exemple la convention pour l’élimination des discriminations envers les femmes) ?

-  Quelle est la représentativité des partenaires et de leurs compétences ? Y-a-t-il une démarche volontariste pour atteindre les femmes ?

-  Les collectivités ont-elles les moyens d’évaluer l’impact de leur coopération sur les inégalités, notamment sur les inégalités hommes-femmes ?

Les collectivités locales apparaissent particulièrement soucieuses de préserver leur autonomie et leurs prérogatives, ce qui fait reposer les engagements sur la volonté des élus, sur leurs orientations politiques et leurs préoccupations. Il n’y a pas de « charte » qui encadre ces actions, mais par contre, il existe une Commission Nationale de la Coopération Décentralisée (CNCD). Elle a actuellement pour souci de commencer par recenser ce qui est fait, mais n’a pas encore de rôle d’orientation.

Les approches

La nécessité d’une approche transversale

Les personnes qui gèrent les dossiers de coopération décentralisée ne prennent pas (encore) en compte le genre : soit les projets sont très ciblés (eau, gestion des déchets..), soit très globaux, avec une approche en terme de développement local.

L’approche sous l’angle du genre peut être engagée sous deux angles différents :

- la réduction des inégalités hommes-femmes à travers des projets spécifiquement dédiés aux femmes (par exemple, appui à l’artisanat féminin ou au micro-crédit pour les femmes) ,

- la prise en compte de l’impact des différents programmes (eau, gestion des déchets etc.) sur les activités des femmes et le contrôle qu’elles en ont. Par exemple quand la collecte des ordures est réalisée par les groupes les plus marginalisés, si on l’organise et la professionnalise, on risque de priver les femmes d’emploi et de moyens de survie.

C’est pourquoi la nécessité d’une approche transversale des questions de genre est prioritaire au sein des projets de coopération décentralisée, avant même d’engager des programmes spécifiques de réduction des inégalités hommes-femmes.

Les obstacles à la prise compte du genre

L’intégration du genre dans la coopération décentralisée pose le problème de la compétence des élus. Il y a un réel problème d’outillage des élus locaux pour travailler à ce niveau et sur cette question. Il est nécessaire de les informer, mais aussi de les former sur l’enjeu local que peut représenter la prise en compte de l’approche genre.

La dispersion de la coopération décentralisée est un autre problème important. La création de réseaux permet de mieux coordonner les actions ; ces réseaux peuvent servir de relais pour la sensibilisation des élus locaux sur la question genre. Les réseaux existant sont l’ARRICOD (Association des directeurs et responsables des relations internationales et de la coopération décentralisée des collectivités territoriales) ou des réseau régionaux comme par exemple Resacoop en région Rhône-alpes. En Aquitaine, on a les RAFID et RADSI. Actuellement, c’est le CRID qui organise le dialogue entre toutes les têtes de réseaux au niveau national.

L’approche spécifique de la coopération décentralisée sur les questions de genre

La coopération décentralisée permet-elle d’avoir une approche des questions de genre qui soit différente des autres formes de coopération ? En étant souvent plus proche des populations, elle permet parfois d’être plus efficace. Depuis une vingtaine d’années, il y a un vrai échange d’expériences (notamment techniques) sur la base de relations interpersonnelles, ce qu’une coopération bilatérale comme le MAE sait moins bien faire. La coopération décentralisée a l’avantage de pouvoir avoir une action politique à la base, par le biais des associations qui représentent un certain nombre de citoyens... Cela offre aux élus une légitimité pour engager certaines actions.

En effet, les élus qui mettent en œuvre ces actions de coopération ont des contraintes propres à prendre en compte, en particulier vis à vis de leur électorat, à qui ils doivent expliquer et populariser leurs actions.

Il faudrait fournir aux élus des arguments pour leur montrer que le genre peut être un thème populaire, en particulier à travers l’interculturel, car le citoyen est naturellement plus intéressé par ce qui est géré au niveau local. De ce point de vue, la coopération décentralisée offre une porte d’entrée intéressante pour la réduction des inégalités femmes-hommes. On a un bon exemple avec la coopération Bordeaux-Oran (Algérie) dont laquelle les questions de genre ont été intégrées. Dans ce jumelage, l’IFAID fait l’interface entre la mairie et les associations, avec un comité de pilotage.

Toutefois les relations interpersonnelles et le codéveloppement présentent des risques : les interlocuteurs sont-ils vraiment représentatifs ? Le partenaire privilégié de la coopération décentralisée peut vouloir privilégier son village, voire son lignage : il peut y avoir des processus de réappropriation…

Pistes de travail : comment mieux intégrer le genre dans la coopération décentralisée ?

Les axes de travail
-  Sensibilisation des élus locaux : il s’agit d’actions de lobbying vers les élus locaux sur le thème genre. Pour parler aux élus, rien de mieux que d’autres élus qui sont plus à même de se faire comprendre. Il faudrait alors diffuser l’information sur le genre au sein de structures comme CUF (Cités Unies France) qui réunit tous les élus, l’AMF (Association des Maires de France) ou l’ARF (Association des Régions de France).
-  Appui-conseil aux collectivités locales : il s’agit d’encadrer, de soutenir au niveau pédagogique et technique les projets de coopération décentralisée pour mieux intégrer la dimension genre. Les collectivités sont d’ailleurs conscientes de la nécessité d’avoir accès à un tel appui-conseil. Mais pour cela, il faut d’abord pouvoir recenser toutes les actions menées et les têtes de réseaux semblent ici être les mieux placer pour agir.
-  Intégration du genre dans les critères des appels à projet, que ce soit par le biais du MAE ou au niveau des têtes de réseaux locaux.

Il est aussi nécessaire de réfléchir à la meilleure façon de présenter ces questions au niveau des collectivités locales. Il faut toujours chercher la personnes ressource qui aura le plus d’influence. Le choix des mots est essentiel : peut-être vaut-il mieux ne pas parler de « genre » de façon frontale. Enfin, il faut veiller à présenter le plus possible le côté pratique de la problématique, en s’appuyant sur des projets-pilotes d’autres collectivités locales par exemple.

Les actions à mener
-  Rechercher des expériences, des projets pilotes de coopération décentralisée qui ont eu un impact sur les inégalités hommes-femmes. Le problème est qu’il est difficile de répertorier toutes les actions de coopération décentralisée qui sont par nature très dispersées. Peut-être peut-on essayer de travailler avec les projets qui passent pas le MAE . On peut aussi essayer de voir des expériences en Europe (par exemple au Pays Bas). On peut aussi se servir du projet du MAE en cours sur « genre au Yemen » pour montrer que le thème est important au niveau central.
-  Travailler à la sensibilisation des élus locaux : informer CUF et leur demander d’organiser une réunion spécifique sur le thème genre (notamment comment intégrer le thème dans la coopération décentralisée).
-  Mettre en œuvre un argumentaire ciblé pour les collectivités locales. En parallèle, il faudrait aussi continuer le débat sur le forum électronique.
-  Essayer d’intégrer le donnée genre dans la coopération qui est en train de se mettre en place entre la Mairie de Blanquefort et l’Algérie : la proposition a été soumise à la Mairie. On peut proposer un travail méthodologique à faire sur ces questions, sur les indicateurs,… bref une sorte d’appui conseil léger peut-être envisagé avec le Réseau Genre en Action.
-  S’appuyer sur la dynamique du FSE (Forum Social Européen).
-  Contacter les associations du FORIM (Forum des Organisations Issues de l’Immigration).

Lire contributions reçues sur le forum sur ce thème.


Isabelle Droy et Aurélie Latoures