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Double peine pour les violées du Pakistan
samedi 30 septembre 2006
Elles sont le plus souvent emprisonnées. Un projet de réforme de la loi irrite les islamistes.
Par Celia MERCIER
LIBERATION : Vendredi 29 septembre 2006
Islamabad de notre correspondante
Dans une geôle de Karachi, Jamila, jeune femme condamnée a trois ans de prison pour adultère, se lamente devant son fils : « Chaque fois que je le regarde, je vois son père, l’homme qui m’a violée. » Au Pakistan, une femme qui dépose plainte pour viol risque la prison. Si elle ne peut présenter les quatre témoins requis par la loi actuelle, elle ne peut prouver le crime. Bien pire, elle se voit automatiquement accusée d’adultère et, comme Jamila, se retrouve en prison, car elle a elle-même confessé une relation sexuelle illicite.
Oppression.
Quand, par malheur, elle est célibataire et qu’elle est tombée enceinte après le viol, cela devient une preuve irréfutable d’adultère. Il y eut le cas célèbre de Safia Bibi, aveugle, violée en 1983 et incapable de reconnaître ses agresseurs. La jeune fille, enceinte, était passible de lapidation. Mais devant le scandale et les protestations, elle avait été acquittée en appel.
Cette situation absurde est une conséquence de l’ordonnance Hudood, imposée en 1979 par le dictateur Zia ul-Haq, pour donner un vernis islamique au pays. Plus ou moins inspirée des lois coraniques, l’ordonnance (lire ci-contre) était censée régler, entre autres, les cas d’adultère et de viol. Mais le texte, mal ficelé, s’est révélé un instrument d’oppression des femmes, notamment de milieu pauvre et analphabète, qui ont vite rempli les prisons par centaines. Quant aux auteurs de viol, ils restent impunis, faute de témoins.
Les accusations d’adultère sont aussi monnaie courante pour régler des comptes personnels. Il suffit d’enregistrer une plainte au commissariat, et les suspects sont arrêtés. Les hommes s’en sortent au bénéfice du doute. Mais les femmes, victimes d’une police misogyne, peuvent ensuite rester des années en prison en attente de leur procès : le crime d’adultère, gravissime, interdit d’être libéré sous caution.
Depuis 1979, les tentatives pour amender cette ordonnance « sacrée » ont échoué. La dernière en date est au coeur d’une polémique intense au Pakistan. La saga a débuté en août, quand le gouvernement a proposé un « projet de loi sur la protection des femmes ».
Fouet.
Le viol deviendrait un crime relevant du code pénal et non plus de la loi religieuse, ce qui donnerait de la valeur au témoignage des femmes et permettrait de sanctionner les violeurs. Pour le crime d’adultère, qui reste dans la loi coranique, l’accusateur devra d’abord produire quatre témoins musulmans irréprochables, qui auraient vu de leurs propres yeux la relation sexuelle interdite, pour pouvoir ensuite déposer une plainte contre les personnes adultères. Sans témoins, il recevra 80 coups de fouet pour « fausse accusation ».
Le MMA, une coalition de six partis islamistes, s’est emparé de l’affaire, à un an des élections parlementaires. Le MMA rejette le « projet de loi sacrilège » et accuse le président Musharraf d’être vendu aux Américains et de répandre l’obscénité. Ses députés ont menacé de démissionner et déchiré publiquement le projet de loi, contenant des versets du Coran.
Selon Sherry Rehman, députée du PPP de Benazir Bhutto, qui soutient le projet, « les mollahs du MMA ont été bien incapables de dire ce qu’il y avait de non islamique dans ce texte. Ils se sont autoproclamés la police morale de notre pays. Mais nous ne les laisserons pas faire ». Elle poursuit : « L’ordonnance Hudood n’a jamais été débattue au Parlement. Et elle va à l’encontre de tous les principes de droit international et de l’islam. Les victimes de viol ici se retrouvent punies ! C’est un désastre pour le Pakistan. »
Défiguré. Le gouvernement a fait marche arrière face aux protestations des islamistes, malgré sa majorité au Parlement. Le texte qui devait être examiné la semaine dernière doit être revu, et le vote a été reporté au mois prochain. A Lahore, une juriste de la commission des droits de l’homme du Pakistan se dit sceptique : « Je suis pour une abrogation complète de l’ordonnance, mais ce projet de loi, même s’il n’est pas extraordinaire, est déjà un premier pas. Le problème, c’est que le texte est modifié tous les jours. » Le projet de loi risque de se voir tellement défiguré, à force de nouveaux amendements, qu’il ne changera rien.
Selon les statistiques d’une ONG pakistanaise, près de 1 millier de femmes seraient en prison pour adultère. Dans 80 % des cas, elles sont acquittées, après avoir croupi en prison parfois des années. Mais, une fois sortie, elles se retrouvent stigmatisées pour le restant de leurs jours et considérées comme des prostituées.
Comme l’explique une militante féministe pakistanaise, « l’ordonnance Hudood est une épée de Damoclès qui pèse sur les femmes, les hommes peuvent s’en servir pour faire du chantage à tout moment. C’est aussi un instrument de pouvoir pour les potentats locaux et les seigneurs féodaux, qui peuvent accuser n’importe qui avec la complicité d’une police corrompue ».
Monde
Un texte élaboré sous la dictature Zia
Par Celia MERCIER
LIBERATION : Vendredi 29 septembre 2006
à Islamabad
Arrivé au pouvoir à la fin des années 70, le dictateur Zia ul-Haq voulait contenter les partis religieux et l’Arabie Saoudite en donnant une apparence plus islamique à son pays. Mais son ordonnance Hudood, en 1979, censée être une application des lois du Coran, a été une tentative, parmi d’autres, des plus désastreuses. Une fois imposée, l’ordonnance était inamovible puisque présentée comme une loi divine qui s’applique aussi aux minorités religieuses du pays (chrétiens et hindous, entre autres).
Dans le vocabulaire de la loi islamique, Hudood, le pluriel de Hadh, définit la limite d’un comportement acceptable, et donc les crimes les plus odieux. Pour l’adultère, si les coupables sont célibataires, ils doivent recevoir 100 coups de fouet. S’ils sont chacun mariés, ils encourent la peine de mort par lapidation. Boire de l’alcool est puni de 80 coups de fouet et un voleur est amputé de la main droite.
Jusqu’à présent, les juges ont toujours annulé ce genre de peine en appel. Mais, sous le règne de Zia ul-Haq, la punition du fouet a été pratiquée. Des « cours de la charia », créés à la même époque, coexistent depuis avec le système juridique laïque, inspiré des lois britanniques.
Voir aussi : http://www.irinnews.org/report.asp?ReportID=54498&SelectRegion=Asia&SelectCountry=PAKISTAN