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Genre et Objectifs du Millénaire : Ce qui ne va pas

dimanche 13 février 2005

Dans leur première version, les Objectifs du Millénaire ont fait du genre un thème marginal et ont été lapidés par toutes les organisations travaillant sur le genre. Des nouvelles pistes plus politiques et transversales sont en train d’être tracées. Seront-elles suivies ?

Les Objectifs du Millénaire pour le Développement et le genre

« Sans égalités femmes-hommes et sans promotion de la femme, les OMD ne seront pas atteints ».

Paragraphe symbolique en tête du site de la Banque Mondiale consacré à la prise en compte du genre dans les OMD. On peut se méfier de cet étendard de bonnes intentions, la Banque Mondiale étant pour toute organisation de développement à tendance alter-mondialiste, un allié à la Dr Jekyll et Mister Hyde, y compris en ce qui concerne la dimension genre. Mais nous avons appris que ces mammouths du développement que sont la Banque Mondiale et le PNUD sont capables du meilleur comme du pire parce qu’en leur sein même s’affrontent des tendances politiques différentes. Or, il se trouve qu’au sein de la Banque Mondiale et du PNUD, des personnes et des ressources clefs sont à disposition pour mettre en avant la question du genre. En terme de genre, les critiques les plus âpres sur les Cadres Stratégiques de Lutte contre la Pauvreté sont venus des experts genre de … la Banque Mondiale, et les critiques des OMD … des experts genre … du PNUD. Sans oublier la société civile qui a bien sûr joué un rôle phare dans les deux cas.

Il est maintenant établi que l’Objectif 3 (sur les 8 que comptent les OMD) est ‘l’objectif genre’ des OMD. Son énoncé est ‘Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes’. L’objectif est fort et clair. On devrait se réjouir de voir un objectif spécifique aussi politique et vaste car, nous devons le reconnaître, nous traversons une époque dangereuse pour les questions de genre. En effet, à force de parler d’intégration transversale, nous constatons que le genre disparaît dans les politiques et les programmes. D’autres dimensions avalent le genre (la pauvreté, les droits humains, la globalisation) pendant que l’on essaie de nous faire avaler des couleuvres : On nous dit que le genre est tellement bien intégré … qu’on ne le voit plus … mais qu’il est quand même là, regardez on a mis un paragraphe pour dire que le genre sera partout, une annexe ‘genre’ … ! Dans ce contexte, faire de l’Objectif 3 un Objectif à part est un garde fou important.

Mais … « si l’égalité entre les sexes et l’autonomisation de la femme étaient vraiment des priorités des OMD, alors tous les objectifs comprendraient des cibles et des indicateurs sur cette dimension. Dans son ensemble, le concept de genre et d’intégration transversale (mainstreaming) n’ont pas infiltré la conceptualisation des OMD ». Or ...

Premier malaise : L’Objectif est tellement à part qu’il n’est aucunement traduit dans les sept autres objectifs. L’égalité n’est pas un secteur, c’est un fait (souvent non-accompli), un droit et un but qui devraient être visibles dans tous les autres objectifs. Ne s’agit-il pas d’arriver à plus d’égalité dans tous les autres secteurs du développement. Or, des études montrent clairement que les discussions relatives au genre sont confinées aux objectifs 3 (Egalité des sexes), 5 (Santé maternelle) et 6 (VIH/Sida). On remarque donc une mise en ghetto des questions de genre dans les secteurs d’intervention « traditionnels » envers les femmes. Pas que ces secteurs ne soient pas extrêmement importants pour les conditions de vie des femmes ! Mais il est certain que la prise en compte du genre dans les autres objectifs est tout aussi importante pour atteindre l’objectif 3 et les OMD dans leur ensemble. On note aussi qu’une partie de l’objectif 3 concernant l’égalité des sexes dans le primaire est en fait l’objectif 2 (Assurer l’éducation primaire pour tous) et on se demande pourquoi il n’existe pas un seul objectif « Egalité des sexes dans l’éducation à tous les niveaux » .

Deuxième malaise : La cible de l’objectif 3 est d’éliminer les disparités entre les sexes dans les enseignements primaire et secondaire d’ici à 2005 si possible, et à tous les niveaux de l’enseignement en 2015 au plus tard. C’est tout ! La critique est à deux niveaux : Premièrement, ces cibles sont rédigées comme si les inégalités dans l’éducation résumaient les inégalités de genre dans leur intégralité et caractérisaient le manque d’autonomie des femmes, et deuxièmement, comme s’il n’avait pas été prouvé des centaines de fois, et ce dans tous les pays de la planète que l’éducation des filles était une condition nécessaire mais pas suffisante pour la réduction des inégalités de genre et l’autonomisation des femmes dans les secteurs de l’emploi et de la politique !

« Au moyen Orient par exemple et en Afrique du Nord, d’énormes progrès sont réalisés dans le domaine de l’éducation des filles. Mais un rapport de la Banque Mondiale indique que si la région semble bien partie pour éradiquer les disparités dans l’éducation en 2005 selon les OMD, la région est loin des objectifs sur la participation économique et politique des femmes. Même chose en Afrique Sub-saharienne où des normes culturelles légitiment l’inégalité des sexes et sont utilisées pour déterminer la position des femmes, sans prendre en considération leur niveau d’éducation. Dans la plupart des cas, l’élimination des disparités de genre dans l’éducation primaire et secondaire n’augmentera pas nécessairement le nombre de femmes au parlement ou la part des femmes dans le monde salarié ». On a donc du mal à comprendre – et surtout à accepter – la traduction simpliste (pour ne pas dire simplette) de l’objectif 3 en cibles totalement incohérentes et parfaitement incomplètes !Reconnaissons à ce stade que tout critiquable que soit l’Objectif 3, l’atteinte de l’égalité de genre à tous les niveaux de l’éducation est déjà un défi énorme. Des études ont d’ailleurs calculé le coût économique et social qu’encourraient les pays qui n’atteindraient pas l’Objectif tel qu’il est actuellement formulé.

Troisième malaise : Les indicateurs proposés pour l’objectif 3 et ses cibles sont :

- a. Proportion filles-garçons au niveau primaire, secondaire et tertiaire

- b. Proportion de femmes/hommes de 15-24 ans alphabétisés

- c. Part des femmes dans les salaires dans les secteurs non-agricoles

- d. Proportion de sièges tenus par des femmes dans les parlements nationaux.

De nouveau, on a du mal à suivre : On peut comprendre la présence des indicateurs a et b qui correspondent bien que de façon très incomplète à la cible définie pour l’objectif, mais en l’absence de cible sur les questions de l’emploi et de la participation politique des femmes, d’où viennent les indicateurs c et d ? Quelle est la logique ? En fait, c’est de nouveau l’hypothèse des retombées positives (trickle down) qui est utilisée. On estime que le seul fait d’éduquer les filles et d’alphabétiser les femmes conduira à plus d’emplois rémunérés et de participation politique des femmes. Encore un fois, l’éducation est une condition nécessaire mais pas suffisante.
On remarque aussi que l’alphabétisation des adultes devient un indicateur (b) alors que l’Objectif 3 ne mentionne que les trois niveaux traditionnels d’enseignement. Or, on sait que le taux d’alphabétisation des adultes dépend aussi de structures non-formelles d’apprentissage de base et/ou de suivi qui ne sont pas reflétées dans les niveaux formels « primaire, secondaire et tertiaire ». Sur la page du PNUD consacré au suivi de l’objectif 3 , on ne trouve que des graphiques concernant l’éducation, rien sur l’alphabétisation, les salaires, ou la participation politique.

En l’absence d’objectifs et de ciblage sur les femmes dans les objectifs relatifs à la pauvreté (objectif 1) comment l’objectif 3, même s’il est atteint, pourra t-il conduire vers l’autonomisation des femmes dans le secteur de l’emploi et en politique ? Sans compter que les OMD dans leur ensemble sont tellement a-politiques que la question de la participation politique en tant que gouvernance et objet de citoyenneté n’y figurent même pas (on les attendait dans l’objectif 8, en vain), que l’emploi figure seulement en termes d’indicateurs ‘d’emplois décents pour les jeunes’ (Objectif 8, pourquoi pas 1 ?).

Dernier point concernant les indicateurs de l’objectif 3. « Ces indicateurs ne saisissent pas la difficulté de la performance des filles à l’école, ni les difficultés des filles en transition entre l’école et le marché du travail. L’hypothèse qui sous tend les indicateurs est qu’une scolarisation des filles indique une bonne performance scolaire. Or, les recherches montrent que dans certains pays d’Afrique, le harcèlement sexuel à l’école affecte sérieusement les résultats des filles et leurs opportunités futures – même si leurs résultats sont suffisamment bons pour qu’elles restent à l’école ».

Dans l’ensemble des OMD, les objectifs ne comprennent RIEN sur les Droits Humains, a fortiori sur les Droits des Femmes, ce qui a bien sûr des conséquences sur la formulation des objectifs 4 (mortalité infantile, qui ne reflète pas les disparités de genre dont on sait qu’elles sont criantes dans certains contextes pour des raisons liées au traitement différencié que reçoivent les filles et les garçons) et 5 (santé maternelle, avant tout une question de droits reproductifs et sexuels, mais la question est ignorée). Les indicateurs, comme les objectifs, s’intéressent aux manifestations plutôt qu’aux causes. Par exemple, les indicateurs pour l’Objectif 5 (santé maternelle) ne prennent pas en compte les causes sous-jacentes des forts taux de mortalité maternelle que sont le manque de pouvoir économique des femmes et la violation de leurs droits, surtout leurs droits reproductifs.

Suite aux critiques des OMD et de l’objectif 3, un groupe de travail vient de publier des recommendations (Rapport du groupe de travail sur
la promotion de l’égalité des sexes et de l’autonomie des femmes produit
dans le cadre des travaux du "Projet du Millénaire" http://unmp.forumone.com(Rubrique "Task force
reports", puis sélectionner "achieving gender equality and empowering
women").

Par Claudy Vouhé, coordinatrice du réseau Genre en Action et spécialiste « genre et développement »

Références :

OMD

Gender Equality and the Millennium Development Goals

Progress of the World’s Women : Gender Equality and the Millennium Development Goals

Seeking Accountability on Women’s Human Rights : Women Debate the Millennium Development Goals

Achieving the Millennium Development Goals : Population and Reproductive Health as Critical Determinants

Indicators for Monitoring the Millennium Development Goals : Definitions, Rationale, Concepts, and Sources.
’Engendering’ the MDGs on Health

Entretien avec Hilda Tadria, CEA

Brochure OMD http://www.un.org/french/millenniumgoals/brochurepage2.pdf

Site Genre en http://www.genreenaction.net/article.php3?id_article=3196 et http://www.genreenaction.net/article.php3?id_article=3305