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L’émancipation doit-elle rimer avec interdiction ? Débat sur les signes religieux dans une république laïque...

mardi 23 février 2010

Le débat faisant actuellement polémique en France sur l’idée du gouvernement d’une interdiction des différentes formes de voile musulman couvrant le corps et le visage, inspire de vives réactions de la part des défenseurs et des réfractaires au projet de loi. Les valeurs fondamentales de la démocratie, de la république, de la laïcité, de la liberté de conscience, entre autres, sont tiraillées dans les plaidoiries parfois acerbes des partisans opposés. Nous vous proposons deux articles qui pourront susciter le débat sur ce sujet concernant femmes et hommes de tous horizons. A vos claviers !

"Adresse à celles qui portent volontairement la burqa".
Par Elisabeth Badinter (philosophe féministe française).

Pour lire le document : cliquez ici

Source : Le nouvel obs.com, 9 juillet 2009.

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"Une voix juive contre l’interdiction de la burqa en France".
Par Joshua M. Z. Stanton (étudiant rabbinique au Hebrew Union College et rédacteur en chef adjoint du Journal of Inter-Religious Dialogue) (www.irdialogue.org).

New York – Bien que juif à New York, je sais ce que c’est que d’être musulman en France.

En 2007, alors que j’étais étudiant dans la ville de Strasbourg, en France, j’ai décidé de me laisser pousser une épaisse barbe. J’ignorais qu’en France, seuls les juifs et les musulmans traditionnels portaient tout sauf la moustache ou le bouc bien taillé. Comme je ne portais pas de kippa ou autre couvre-chef, les gens qui me croisaient dans la rue supposaient que j’étais musulman. Je sentais que les agents de police et les passants me regardaient avec suspicion et, même aux heures de pointe dans le bus bondé, peu de personnes choisissaient de s’asseoir à côté de moi si elles pouvaient l’éviter. Un jour, quelqu’un m’a suivi jusque chez moi et a tenté de me provoquer en duel pour finalement découvrir que je n’étais qu’un Américain, abasourdi par ce qui m’arrivait, et non un Français musulman.

Jamais auparavant je n’avais connu un tel mépris ; cela ne s’est jamais reproduit depuis. Au quotidien, on me mettait dans l’embarras à cause de mon apparence (et de ce qui était supposé être mon affiliation religieuse correspondante). C’est pourquoi, lorsque j’ai pris connaissance de la tentative imminente du député Jean-François Copé et de ses sympathisants de criminaliser la burqa (et autres vêtements qui couvrent complètement le corps, la tête et le visage de la femme) en France, j’ai compris qu’il s’agissait bien plus que d’une mesure visant à protéger les droits des femmes ou à préserver le concept d’une société laïque sur lequel repose l’Etat moderne.

Il n’est pas difficile, à mon sens, de comprendre comment il risque d’être fait mauvais usage de l’« interdiction de la burqa » pour stigmatiser davantage une population religieuse, une population qui se considère déjà comme étant en marge de la société.

Evidemment, je suis farouchement opposé aux vêtements ou pratiques religieuses (y compris celles qui appartiennent à la tradition juive qui est la mienne) qui suggèrent que les femmes ont un rôle différent ou un rôle de soumission. Mais l’ « interdiction de la burqa » en France n’atteindra pas le but recherché qui est l’égalité des sexes. Elle renforcera, tout au plus, la position des conservateurs religieux au sein de la population musulmane française en convainquant les musulmans modérés que le reste de la société française ne les acceptera jamais.

Même s’il n’y a que soi-disant deux mille femmes qui portent la burqa dans toute la France aujourd’hui, la population musulmane dans son ensemble (estimée à six millions par le gouvernement) prendra ombrage d’une nouvelle mesure venant isoler sa communauté.

En admettant que le président français Nicolas Sarkozy soit vraiment convaincu par l’idée que la burqa est un « signe de soumission, un signe de corruption », selon l’édition du magazine The Economist du 16 janvier dernier, la meilleure réponse qu’il pourrait apporter à cela serait d’édicter des mesures visant à intégrer davantage les citoyens musulmans dans la société française. De telles mesures amoindriraient les efforts de la petite minorité de musulmans religieusement conservateurs destinés à regrouper des partisans parmi leurs coreligionnaires mécontents qui se sentent incapables de surmonter les préjugés anti-musulmans.

La nécessité pour le gouvernement français de traiter les minorités religieuses avec respect est portée par sa propre histoire. En 1781, le penseur allemand des Lumières, Christian Wilhelm Von Dohm, a fait une proposition qui, pour l’époque, était révolutionnaire : « Naturellement, la religion du juif ne l’empêchera pas d’être un bon citoyen, à condition que le gouvernement lui reconnaisse les mêmes droits que les autres citoyens ».

Or ce sont les Français qui les premiers ont appliqué la vision prophétique de Dohm.

En 1806, l’empereur Napoléon Bonaparte émancipa les juifs français en adoptant des lois visant à améliorer leur statut économique et social et en les invitant à s’établir partout où ils le désiraient plutôt que dans les quartiers pauvres et surpeuplés où ils avaient été confinés dans les villes ou de voyager de lieux en lieux dans les campagnes. En outre, il reconnut officiellement leur religion et affirma sa place définitive dans la sphère privée de la vie française. A travers ces actes de profonde tolérance, pendant plus de 200 ans, la France a montré l’exemple à toute l’Europe et a prouvé que son ouverture d’esprit était plus que de la rhétorique.

Aujourd’hui, la France ferait bien de suivre son propre et admirable exemple et d’apparaître comme le premier pays européen à vraiment traiter les citoyens musulmans comme des participants au même titre que les autres citoyens dans la société. Renoncer à l’ « interdiction de la burqa » constituerait une première mesure sensée.

Source : Service de presse Common Ground, 29 janvier 2010.

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Vous pouvez également consulter la nouvelle livraison de la revue québécoise Sociologie et sociétés qui contient, en marge d’un dossier sur les mouvements sociaux, trois articles consacrés aux controverses autour du voile islamique.
Présentation et résumés en suivant le lien : Erudit : sociologie et sociétés

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Pour nourrir les débats :

- Ouvrage de Jeanne Favret-Saada :
Jeux d’ombres sur la scène de l’ONU, droits humains et laïcité

L’anthropologue revient sur le concept d’alliance des civilisations mis en place par l’ONU à partir d’une proposition de Mohammed Khatami, qui consiste à transférer aux religions l’universalité de la déclaration des droits de l’homme. Elle récuse cet usage des civilisations qui les enferme dans l’antagonisme du choc et tient lieu de pensée politique en termes de relations internationales.

- Article d’Irène Kaufer, militante syndicale et féministe. "Celles par qui le scandale arrive"

"Quand vous voudrez expliquer à un Martien ce qu’est un paradoxe, les débats actuels autour du foulard islamique pourront vous servir de cas d’école."(...)

- Déclaration publique d’Amnesty International, 21 avril 2010 :

Toute interdiction du voile intégral constituerait une violation
du droit international relatif aux droits humains

- Article de Cécile Laborde, professeure de théorie politique à l’Université de Londres :
Quatre raisons pour ne pas interdire le port du voile intégral