Accueil > Archives > Ressources > Enjeux thématiques > Témoignages/points de vue > La régulation juridique des relations conjugales : une approche historique (...)
La régulation juridique des relations conjugales : une approche historique et comparative
mardi 7 août 2007
Cet article retrace les constructions juridiques des relations conjugales depuis les premiers codes civils, du devoir d’obéissance à l’égalité entre les conjoints, et quantifie les effets personnels, civils et pécuniaires du mariage à deux moments précis, 1938 et 2003, respectivement sur 63 et 192 pays.
La régulation juridique des relations conjugales : une approche historique et comparative
Arlette GAUTIER
(Gautier A., 2006, « Droits du mariage et violences conjugales », Prochoix, 36, avril : 109-134.)
Durkheim, dans son Introduction à la sociologie de la famille, préconisait
trois sources principales pour l’étude de celle-ci : « le droit, les moeurs
tels que nous les font connaître l’ethnographie et l’histoire, enfin la démographie
de la famille ». En effet, le droit « présente à un plus haut degré ce
caractère objectif qui est le signe distinctif de la coutume, comme il a une
forme plus nettement arrêtée, il constitue un document en général plus précieux
» (Durkheim, 1888). Il ajoute qu’un certain décalage se produit parfois,
le droit pouvant être en retard sur les évolutions des moeurs. Aujourd’hui,
le droit est parfois en avance sur les moeurs, notamment à la suite
des pressions internationales visant à démocratiser le droit de la famille. En
effet, la ratification de la convention pour l’élimination des discriminations
envers les femmes (CEDEF) ainsi que d’autres accords internationaux ont
conduit certains États à revoir ce droit pour signifier leur intégration à
l’ordre international et à la civilisation mondiale (Engle-Merry, 2003). On
peut alors se demander si le droit ne devient pas irréaliste, relevant plus
d’une façade internationale, de « gestes sans significations » (Banda, 2003),
que d’un dispositif de gestion des relations conjugales, souvent régies par
des droits coutumiers, voire par des prescriptions religieuses ou des coutumes.
Cependant, le droit peut aussi produire des effets. Ainsi au Brésil, avant
la promulgation du nouveau code, des femmes ont vu leur mariage annulé
parce qu’elles n’étaient pas arrivées vierges au mariage conformément à la
loi. Inversement, aux États-Unis et au Royaume-Uni, des hommes qui demandaient
d’empêcher l’avortement de leur conjointe se sont vus débouter,
parce que rien dans la loi du pays ne donne à un conjoint un pouvoir sur le
corps de l’autre. Le droit fait alors partie de la structure des contraintes face
à laquelle se déploient les stratégies individuelles et collectives. Quelle que
soit son effectivité, qui dépend de celle de l’État ainsi que de la volonté réelle
des acteurs publics, le droit familial est toujours un discours public par
lequel l’État énonce une certaine normativité.
La démocratisation de ce discours commencé au XXe siècle semble se
poursuivre au siècle actuel, puisque, depuis 2001, l’égalité des femmes dans
le mariage a été reconnue en Argentine, au Brésil et en Turquie, alors que des progrès significatifs sont relevés au Bénin, au Malawi, au Maroc et en
Ouganda1. Néanmoins, des tendances contraires à cette démocratisation se
font jour, avec notamment l’instauration de la sharia dans douze États du
Nigeria, suivant ainsi la tendance à une rénovation patriarcale dans certains
États musulmans.
Que peut-on dire pour dépasser un point de vue impressionniste
sur ces évolutions ? Là aussi, l’approche sera durkheimienne :
« Nous étudierons d’après cette méthode, non pas une ou deux familles prises
pour exemples, mais le plus grand nombre possible : nous ne négligerons
aucune de celles sur lesquelles nous pourrons nous procurer des renseignements
dignes de foi. Nous les rangerons en groupes d’après les ressemblances
et les différences qu’elles nous présenteront. » (Durkheim, 1888). Cette
classification est fondée sur les dispositions juridiques et non sur les théories
classiques en droit comparé, car celles-ci ne permettent pas de suivre les
transformations qui s’opèrent avec le temps (Husa, 2004).
L’approche, dans ce chapitre, retrace les constructions juridiques des
relations conjugales depuis les premiers codes civils, du devoir d’obéissance
à l’égalité entre les conjoints, et quantifie les effets personnels, civils et pécuniaires
du mariage à deux moments précis, 1938 et 2003, respectivement
sur 63 et 192 pays.
De la meme auteure :