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Passage à l’acte sur la parité en Norvège

samedi 12 novembre 2005

En Norvège, une nouvelle loi impose un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des grosses entreprises, sous peine de fermeture. Une mesure unique au monde.

Bourse d’Oslo, il y a quelques semaines. Juste avant midi, les employés entonnent le compte à rebours, visage radieux levé vers l’une des quatre terrasses placées à chaque coin de l’atrium. En haut, un groupe de dirigeants de la compagnie Revus Energy ASA fait écho au choeur. A midi pile, le PDG Tim Sullivan fait sonner la cloche. Sa société d’exploration et de production pétrolière devient la 200e entreprise cotée à la Bourse d’Oslo.

Elle est aussi l’une des 600 sociétés anonymes norvégiennes qui retiennent en ce moment toute l’attention du gouvernement de centre droit. Depuis le 1er juillet, 40 % des membres du conseil d’administration doivent être des femmes, faute de quoi la loi permettra d’ici quelque temps de fermer l’entreprise s’il le faut (les 200 000 petites entreprises du pays ne sont pas concernées par la loi). « Une question d’utilisation des compétences », clame la ministre démocrate-chrétienne de la Famille, à l’origine de la loi, Laila Dåvøy. « 60 % des étudiants sont des femmes, mais à peine 15 % des administrateurs des 600 sociétés anonymes sont des femmes. C’est du gâchis. » Une mesure radicale, unique au monde, qui, même dans ce pays très égalitaire qu’est la Norvège, ne va pas de soi. « Sur les 200 entreprises cotées ici, une dizaine répond aux quotas fixés, note un courtier réclamant l’anonymat. Beaucoup d’entreprises sont en colère mais personne n’ose dire ce qu’il pense. Ce serait politiquement très incorrect. »

Quand on fait remarquer à Tim Sullivan que là-haut sur la terrasse, parmi les dirigeants de Revus Energy, il n’y avait que des hommes, il est très prompt à réagir : « Nous avons deux femmes parmi les six membres de notre conseil d’administration, ce n’est déjà pas si mal. » Puis il ajoute : « 40 %, c’est difficile à atteindre. Mais je peux comprendre d’où vient cette demande. Beaucoup de femmes travaillent, donc pourquoi ne seraient-elles pas aussi dans les conseils d’administration ? » C’est ce type de réponse très correcte, reprise en choeur depuis des années, qui a fini par faire sortir les politiciens de leurs gonds. Et le plus étonnant aux yeux de beaucoup est que l’initiative soit venue de la droite.

Voté à une écrasante majorité

Laila Dåvøy et son collègue ministre conservateur de l’Industrie Ansgar Gabrielsen ont réagi il y a trois ans, après des années de promesses du patronat. Le très conservateur Ansgar Gabrielsen, représentant traditionnel du patronat, a pris tout le monde de court en déclarant dans la presse en avoir « marre » de ces « clubs de bons garçons » qui s’élisent les uns les autres. Le projet de loi a été rapidement ficelé et voté à une écrasante majorité. La gauche ne pouvait pas voter contre. Pour montrer l’exemple, le gouvernement s’est d’abord tourné vers ses propres ouailles. Dans les compagnies publiques, la règle des 40 % a été instaurée dès janvier 2004. Aujourd’hui, ces conseils d’administrations sont composés à 45,7 % de femmes.

Anne-Kathrine Slungård, ex-maire conservatrice de Trondheim, est présidente depuis trois ans du comité de nomination de Statoil, une compagnie pétrolière qui est aussi la principale entreprise publique du pays. Quand on lui demande si elle a été élue à ce poste à cause de la loi, elle répond en riant d’un « peut-être ». Le nouveau conseil d’administration qu’elle a fait nommer comporte trois hommes et trois femmes. « Mais nos discussions portaient sur l’analyse des défis industriels. On ne parlait pas de sexe, même si on savait bien ce que le gouvernement attendait de nous. » Tous les anciens administrateurs avaient le même profil, venant de la banque et de la finance. « Nous l’avons élargi au secteur pétrolier et à la recherche, et la présidente du conseil est maintenant une ancienne ministre conservatrice. »

700 femmes sur une base de données

Désormais, tous les regards sont portés vers les entreprises privées, actuelles cibles de la loi. NHO, la confédération patronale, a pris le train en marche. « Nous sommes contre cette loi, martèle sa directrice, Sigrun Vågeng. Mais, en même temps, nous voulons plus de femmes à des postes de responsabilité. Et si vous recrutez vos responsables dans une seule moitié de la population, vous n’aurez jamais les meilleurs. » NHO a donc lancé il y a trois ans un vaste programme, « Female Future », pour trouver et former des candidates à ces postes d’administratrices. Les sociétés contactées devaient fournir les noms de candidates potentielles. Aujourd’hui, quelque 700 femmes remplissent une base de données où les entreprises peuvent aller piocher.

Employée depuis 1984 chez Statoil, Jofred Klokkehaug, 45 ans, est sortie d’une des premières promotions. En février 2004, son patron lui propose de suivre la formation « Female Future ». « J’en ai été flattée, bien sûr, dit-elle, même si j’ai trouvé étrange qu’on envoie des femmes éduquées et expérimentées suivre ce type de formation alors que les hommes, eux, n’en suivent pas. »

Au cours de quatre journées réparties sur le printemps 2004, Jofred Klokkehaug s’est retrouvée avec une cinquantaine de femmes pour suivre des conférences assez techniques. Pour le moment, elle n’a toujours pas été contactée. « Je ne suis pas surprise de ne pas avoir été appelée simplement parce que mon CV est dans une base de données. Les entreprises préfèrent utiliser leurs propres réseaux pour recruter des administrateurs. »

Sur les 700 femmes formées, un quart environ a rejoint un conseil d’administration. C’est le cas de Trude Malterud, vice-présidente des ventes de Nera, une société de communication. Elle l’avoue pourtant, jamais elle n’avait pensé à devenir membre d’un conseil d’administration. « Au retour de mes vacances d’été l’an dernier, j’ai trouvé un mail de mon chef pour me proposer la formation. » En mai, cette trentenaire a été choisie dans le conseil d’administration d’une compagnie informatique ; l’un des actionnaires avait vu son nom et son CV dans la banque de données de la NHO. « Je n’aime pas cette loi avec cette notion de quota, dit-elle cependant. En même temps, je ne crois pas que j’aurais été nommée sans, il faut être réaliste. »

Bilan médiocre

Le gouvernement devait faire durant l’été le bilan de parité des entreprises et décider alors à partir de quand la loi entrera en application. Début septembre, on était péniblement arrivé à 17 % de femmes dans les conseils. « Nous ne sommes pas contents du tout, fulmine un haut responsable du ministère. Mais ce n’est pas tout à fait une surprise non plus, car beaucoup d’entreprises n’ont pas cherché. »

Reste à décider de la mise en application de la loi. La ministre Laila Dåvøy souhaitait qu’elle ait lieu en ce début d’automne. Il faudra sans doute attendre un peu, le temps de laisser passer les élections législatives d’aujourd’hui. Rien ne dit que Laila Dåvøy conservera son poste ni que le gouvernement de centre droit survivra à cette journée, mais le consensus politique était large. L’avenir paraît donc tout tracé. « Les entreprises auront alors une période de transition de deux ans pour se mettre en conformité, précise Laila Dåvøy. Si ce n’est pas le cas, et après des mises en demeure, ce sera aux tribunaux de trancher si l’entreprise peut poursuivre son activité. » « Faire fermer un grand groupe privé pour ça ? C’est ridicule, s’emporte la représentante du patronat. Laissons encore du temps aux entreprises. » Mais la ministre reste de marbre et accueille ce type d’argument avec un sourire carnassier. « Je suis sûre qu’aucune entreprise ne devra fermer car je ne peux pas imaginer qu’on n’arrive pas à trouver de femmes. C’est uniquement une question de volonté, les femmes sont là. »

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Source : Olivier TRUC, Oslo envoyé spécial
Journal Libération, 12 novembre 2005