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Santé maternelle en côte d’ivoire : les fistules et la césarienne bientôt gratuites ?
lundi 19 janvier 2009
Les femmes souffrant de fistules obstétricales en Côte d’Ivoire seront bientôt soulagées. Depuis quelques temps, des initiatives sont entreprises par le gouvernement et certains partenaires au développement pour que le traitement de ces maladies soit gratuit. Il s’agit, pour l’Etat, de réduire le taux de mortalité maternelle en donnant l’opportunité à de nombreuses femmes de conserver la vie en la donnant.
Victime de la fistule : entre douleurs et humeurs
L’enfantement est le bien le plus précieux de la femme. Mais, pour près de 2 millions d’entre elles en Afrique, cet acte est porteur de risques énormes. En Côte d’Ivoire, ce sont 16 femmes qui décèdent par jour des suites de complications lors de l’accouchement. Certaines sont victimes de fistules obstétricales appelées de façon triviale ‘’maladie de pipi’’, ‘’senti pipi’’ ou ‘’femme pipi’’. Ces fistules entraînent une incapacité à contrôler les urines et les matières fécales. Les difficultés intervenant dans la prise en charge de ce mal ouvrent la voie à un calvaire qui commence après l’acte d’accouchement.
La plupart des victimes sont issues des catégories sociales les plus défavorisées car, en plus de vivre loin des centres de santé elles n’ont pas les moyens financiers pour se soigner. Si la fistule fait des ravages dans les zones rurales du fait de l’éloignement des centres de santé ou du manque de matériels médicaux adaptés. A côté de la douleur ressentie par le manque ou l’insuffisance de moyens financiers ou de structures adaptées, la femme malade doit porter le lourd fardeau des humeurs de son entourage.
L’incontinence des déchets (urines et/ou matières fécales) entraîne une malpropreté liée à la situation socio-économique de la malade. L’hygiène intime est difficilement maintenue du fait des difficultés à acheter un pain de savon pour se laver ou nettoyer les couches de fortune (morceaux de pagnes usées ou morceaux de tissus récupérés chez les couturiers) fabriquées pour réduire les dépenses. Le rationnement de l’eau devenue une denrée rare à cause de l’éloignement des points d’eau en milieu rural (pompes à eau, puits, etc.) alourdit le calvaire de la victime. En milieu urbain les coupures d’eau ou le coût élevé des factures est source de tensions récurrentes. Ces situations réduisent l’aptitude de la victime à assurer ses soins corporels. D’où la persistance d’odeurs nauséabondes qu’elle laisse à son passage. Du reste c’est cette odeur qui lui vaut dans certains milieux le méchant sobriquet de ‘’chèvre en rut’’.
L’apparition de la fistule fragilise ou rompt également la relation de la femme avec ses proches. Les époux se débarrassent de leurs épousent sous la pression de familles qui refusent de supporter une ‘’femme sale’’. Les règles de propreté se substituent aux signes de la maladie. La dignité de la famille ne saurait s’accommoder d’une femme malpropre. D’ailleurs, une femme qui n’est pas à même d’assurer son hygiène intime ne peut pas tenir un foyer. Elle serait incapable de veiller à la propreté du ménage (vaisselle, lessive, hygiène des enfants voire de l’alimentation).
Le rejet de la victime est motivé par l’imaginaire psycho-affectif collectif fortement marqué par le phénomène de la sorcellerie. On peut qualifier cette situation de paradoxe de la fistule. En effet, quand la victime n’est pas traitée de sorcière, ‘’mangeuse de chair de bébé’’, elle est l’objet de pratiques d’exorcisme parce qu’elle est victime d’envoûtement de la part d’une tierce personne. Dans le premier cas, la victime appartiendrait à une confrérie de sorciers qui utiliseraient son corps pour satisfaire les besoins du groupe. Selon certaines sources orales, dans le champ spirituel, l’appareil génital de la femme remplit la fonction de mortier. Ainsi il est utilisé pour moudre les objets durs comme les ossements humains. Parfois, il joue le rôle de marmite et autres ustensiles de cuisine. C’est donc l’usure de cet outil qui entraîne la fistule obstétricale. Ainsi, la victime ne reçoit que la compensation de son acte de sorcellerie.
Sur cette base il ne saurait être question de manifester à son égard une quelconque émotion de compassion. D’un autre côté, la malade de fistule peut être la cible de pratiques de sorcellerie. Dans ce cas de figure, l’essentiel de son appareil de reproduction est perforé ou ‘’mangé’’ par une personne jalouse de sa situation sociale. Parfois, cet appareil est tout simplement suspendu à la branche d’un gros arbre. Malheureusement ce cas est très peu mis en évidence, l’hypothèse de la victime sorcière étant la plus privilégiée
Césarienne : mourir à 200.000 F.CFA ou vivre à crédit
Les complications qui surviennent lors des accouchements sont différemment vécues par les femmes en Côte d’Ivoire. Celles qui ont les moyens financiers sont opérées pour une somme qui oscille entre 150.000 et 200.000 F.CFA. Les plus nanties accouchent dans les cliniques privées parfois à 600.000 voire 900.000 F.CFA. Mais, pour le plus gros contingent de femmes qui sont pauvres la césarienne est presque synonyme de mort. En 2007, deux cas de femmes décédées à la suite de complications à Abidjan et à l’intérieur du pays ont défrayés la chronique. Un médecin est traduit en justice quand un centre de santé situé au quartier populaire d’Abobo est saccagé par les populations écoeurées par le décès d’une jeune femme en travail. Le médecin réclamait à l’époux de la victime une somme supérieure à celle qu’on lui proposait pour opérer la femme.
La césarienne est un acte médical transformé en marchandise par certains praticiens qui usent de chantage pour gruger des populations pauvres et à majorité analphabètes.
Pour sauver les femmes les parents sont souvent contraints de s’endetter. Les soins médicaux sont administrés à la suite de cotisation versées par des proches parents (cousins, frères, sœurs, tantes, etc.) ou éloignés (amis, collègues de bureau, voisins de quartier, etc.). Mais la pratique de l’endettement plonge les époux dans le cercle vicieux de la paupérisation. Au cas ou l’enfant et la mère sont tous les deux vivants, leur prise en charge devient difficile à cause des nombreuses charges (soins de santé, alimentation, vêtements, etc.) générées par l’accouchement.
L’état ivoirien contre les fistules obstétricales et la césarienne
L’Etat ivoirien n’est pas insensible au drame des femmes malades. En réponse aux complications liées à l’accouchement il entreprend un train de mesures au nombre desquelles se trouve la gratuité de la césarienne. Il envisage également la prise en charge gratuite du traitement des fistules obstétricales. A l’ouverture de la conférence régionale sur les fistules qui a eu lieu à Abidjan du 27 au 29 octobre 2008, le Ministre de la santé et de l’hygiène publique de Côte d’Ivoire s’est engagé a « proposer au gouvernement la gratuité de la césarienne pour une mesure effective en 2009 ». Cette initiative s’inscrit dans le cadre du projet de la feuille de route pour réduire la morbidité et la mortalité maternelles, néonatales et infantiles en Côte d’Ivoire.
L’organisation de cette conférence vise entre autres, l’échange d’expériences au niveau national et régional, l’harmonisation des approches, des méthodes, la position géographique et la mission des centres sous régionaux de formation et de traitement en Afrique, le lancement officiel du réseau officiel des ONG de l’Afrique qui luttent contre la fistule et l’adoption des statuts et le plan d’action du réseau.
La mise en œuvre de ce projet qui couvre la période 2008-2015, permettra de réduire le taux de mortalité maternelle de 513 à 136 décès maternels pour 100.000 naissances vivantes, la réduction du taux de mortalité néonatale de 41 à 10, 25 décès pour 1.000 naissances vivantes et la réduction du taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans de 125 à 42 décès pour 1.000 naissances vivantes. L’application de cette feuille de route s’élève à 93 milliards de francs CFA.
Les objectifs généraux de la feuille de route s’aligne sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) notamment les quatrième et cinquième dont les objets sont la réduction de la mortalité des enfants et l’amélioration de la santé maternelle. Toutefois il serait souhaitable que la feuille de route ne soit pas rangée dans les tiroirs de l’Etat. De nombreuses femmes attendent la mise en œuvre effective de cette feuille. Elle doit être soutenue par une campagne de sensibilisation des populations sur les risques des mariages précoces. En outre, tout en tenant compte des contextes socio-culturels, il faut briser la loi du silence autour des fistules obstétricales. Pour cela, les leaders d’opinion comme les autorités coutumières (chefs de village, notables), religieuses (imams, marabouts, prêtres, pasteurs, etc.) et politiques (préfets, maires, présidents de conseils généraux, chefs de partis politiques et de mouvements de jeunes, etc.) doivent être mobilisés dans une approche intégrée.
Les femmes elles-mêmes doivent être formées aux techniques de premiers secours pour réduire les risques de complications lors des accouchements et être capable d’apporter une réponse efficace au cas où elles surviennent. A ce niveau les enseignants (instituteurs, professeurs des lycées et collèges et ceux du supérieur) doivent être associés pour une large campagne d’alphabétisation ou de remise à niveau pour faciliter la réappropriation des cours de secourisme. Au mieux des interprètes identifiés dans les zones intéressés pourront traduire en langues vernaculaires les enseignements. Les curricula devront être axés sur la santé de la reproduction. D’où la nécessité d’une collaboration qui mettra en relation les experts de la santé de la reproduction, des juristes, les enseignants et les leaders d’opinion.
Car il ne suffit pas de décréter la gratuité de la prise en charge de la césarienne et des fistules obstétricales, encore faut-il que les femmes sachent que la gratuité de l’acte ne relève pas de la « générosité » d’un médecin. D’un autre côté, il faut que les populations soient exorcisées des mythes et stéréotypes de la « femme-qui-porte-malheur » et de la « sorcière » pour considérer les complications comme des « pathologies normales et naturelles ».
Silué N’Tchabétien Oumar
Politologue, Sociologue.
Expert en gestion des conflits et paix et en Genre
Sirasso2000@yahoo.fr
(+ 225) 05 00 49 09
08 BP 67 CIDEX 02 Abidjan (République de Côte d’Ivoire)
Janvier 2009