Accueil > Archives > Ressources > Enjeux thématiques > Témoignages/points de vue > Vers un avenir sans fondamentalismes - entretien avec Cassandra (...)
Vers un avenir sans fondamentalismes - entretien avec Cassandra Balchin
dimanche 13 février 2011
L’AWID a interviewé Cassandra Balchin qui nous parle des conclusions du rapport sur les stratégies féministes pour résister et s’opposer aux fondamentalismes religieux, récemment publié par l’AWID.
AWID : D’après le rapport, les fondamentalismes sont des mouvements flexibles qui s’adaptent aux circonstances. Les médias grand public qui dressent un portrait simpliste des mouvements fondamentalistes ignorent souvent cet aspect. Pouvez-vous donner quelques exemples d’occasions que saisissent actuellement les fondamentalistes religieux ?
Cassandra Balchin (C.B.) : Les fondamentalistes religieux choisissent leur point d’entrée suivant le contexte immédiat. Par exemple, en Afrique, les activistes des droits des femmes voient souvent en la pauvreté un point d’entrée pour les fondamentalistes. En Asie du sud et au Moyen Orient, le rôle politique joué par les Etats-Unis sur la scène mondiale et le ressentiment qui en découle sont à fortiori des points d’entrée.
Quelles que soient les régions ou les religions, des aspects économiques et sociopolitiques nourrissent les fondamentalismes, et ces aspects se chevauchent souvent. Par exemple, l’écart croissant entre riches et pauvres est un point d’entrée mentionné dans toutes les régions et dans ce cas, des aspects économiques et sociaux sont en jeu. Les inégalités sont en partie dues à l’interruption ou à l’échec des services de l’Etat, notamment lorsque les Etats sont corrompus ou s’ils appliquent des politiques économiques néolibérales.
Dans d’autres contextes aussi, comme en Amérique latine et aux Caraïbes, les organisations religieuses jouent un rôle croissant dans la prestation de services de base, palliant ainsi l’absence de l’Etat. Cette situation permet à certains de promouvoir un programme social fondamentaliste au travers de la prestation de services. Dans de nombreux pays, y compris aux Etats Unis pendant le mandat de Georges W. Bush et au Nicaragua pendant le mandat de Daniel Ortega, l’Etat et d’autres acteurs politiques se sont ralliés de façon opportuniste à des fondamentalistes religieux pour renforcer leur propre pouvoir politique. Ceci confère aux fondamentalistes religieux une légitimité et leur donne accès aux ressources étatiques, dont ils se servent à leur tour pour consolider leur pouvoir.
Il faut admettre que les fondamentalistes religieux peuvent être très sophistiqués et agiles, même si le dessein qui les anime n’est autre que celui du pouvoir et du contrôle.
AWID : Les fondamentalistes religieux sont à la fois un frein à l’autonomisation des femmes et des forces proactives nées avant les mouvements sociaux de 1960 et les politiques néolibérales mises en œuvre à partir des années 1970. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
C.B. : Lorsque les militant-e-s consolident des droits ou obtiennent des avancées en matière de droits, les fondamentalistes religieux sont généralement en première ligne pour essayer de détruire ces acquis. Cette année, le parlement Malien a approuvé une loi en faveur des droits de la famille, mais de violentes manifestations ont contraint le président de la renvoyer au pouvoir législatif pour qu’elle soit à nouveau débattue. Cet exemple parmi d’autres montre qu’on peut facilement voir les fondamentalistes religieux comme un frein contre les avancées sociales, comme en matière de droits des femmes ou des droits des LGBTQI.
Néanmoins, les fondamentalistes religieux ne se cantonnent pas uniquement à cela. Les fondamentalismes religieux ne sont pas passifs ou simplement réactifs, ils recherchent activement ce que Wanda Nowicka de Pologne appelle les « occasions politiques » pour étendre leur influence sociale et politique. La plupart des organisations fondamentalistes actuelles, toutes religions confondues, ont été fondées pendant la première moitié du XXème siècle, dans une période de bouleversements à l’échelle mondiale.
Souvent, les fondamentalistes religieux se perpétuent : Le fondamentalisme dans une communauté religieuse nourrit le fondamentalisme dans une autre communauté. La guerre et les conflits peuvent être vus à la fois comme une cause des fondamentalismes religieux ainsi que comme le résultat de politiques fondamentalistes, parfois dans un cercle vicieux qui semble interminable, comme dans le cas de l’ex-Yougoslavie ou de la « guerre contre la terreur ».
AWID : Dans le rapport, il est suggéré que les fondamentalistes religieux ont une manière de travailler et de se développer très semblable dans tous les mouvements religieux fondamentalistes. Cependant, il ne fait pas l’ombre d’un doute que chaque religion est différente, et que les contextes locaux sont pluriels. Si, comme vous dites, les fondamentalismes religieux sont des mouvements flexibles, leurs stratégies sont-elles donc multiples ?
C.B. : Il faut d’abord faire une différence entre d’une part, les stratégies immédiates qui changent au fil du temps et du lieu, même lorsqu’il s’agit du même contexte religieux, et d’autre part les discours religieux des fondamentalistes et leurs approches stratégiques. L’équipe d’AWID était également très étonnée de constater à quel point les activistes des droits des femmes faisaient état de stratégies ou de discours communs dans différentes régions et religions. Par exemple, dans chaque région, une des trois stratégies de fondamentalisme religieux les plus citées est l’utilisation de messages qui véhiculent la notion de « morale décadente », celle de « démantèlement de la famille », ou encore de messages qui qualifient de « naturelle » la rigidité des rôles sexuels au sein de la famille. Partout dans le monde, on retrouve des modèles de promotion de la famille patriarcale et hétéronormative, où l’autonomie des femmes est sujette à un contrôle strict.
En outre, des stratégies qui semblent diverses sont en réalité des aspects d’un même problème. Par exemple, les fondamentalismes catholique, chrétien et évangéliste tendent à mettre l’accent sur les droits en matière de santé et de procréation, tandis que les fondamentalismes musulmans et hindouistes se concentrent sur la mobilité des femmes et leur tenue vestimentaire. Tous ces fondamentalismes religieux ont un même dénominateur commun : contrôler l’autonomie des femmes à l’égard de leur propre corps.
Dans le rapport, une myriade d’autres exemples sont cités, notamment l’approche commune adoptée par les mouvements fondamentalistes religieux pour enrôler des jeunes et des femmes, le recours à des réseaux au-delà des frontières, la tendance à revendiquer une autorité morale et à combiner le fondamentalisme religieux à d’autres types de fondamentalismes, tels que le racisme, la haine raciale et le nationalisme.
Tous les fondamentalistes religieux cherchent à faire de la religion la seule source –et incontestable- de politiques publiques. En Thaïlande, les fondamentalistes ont milité pour faire du Bouddhisme une religion d’Etat, tandis qu’en Ouganda, l’influence des fondamentalistes évangélistes est à l’origine de projets de lois visant à incriminer les LGBTQI et tous ceux qui les soutiennent.
AWID : Le rapport contient de nombreux exemples de stratégies féministes de lutte contre le fondamentalisme religieux. Quels sont les facteurs qui rendent cette lutte complexe ?
C.B. : Vu le manque de ressources et de pouvoir des militantes par rapport aux fondamentalistes religieux, ce que les féministes ont réussi à obtenir est extraordinaire. Les fondamentalistes religieux ont moins de pouvoir que ce qu’ils ne croient !
L’une des difficultés majeures est de comprendre ce qu’est un « fondamentaliste ». Parfois, on met tous les acteurs religieux dans le même sac, et ils sont tous étiquetés comme « fondamentalistes ». L’existence d’organisations religieuses militant en faveur des droits, comme Católicas por el Derecho a Decidir (CDD/Catholiques pour le droit de choisir), et autres organisations de diverses religions montre que fondamentalisme religieux et religion ne sont des synonymes. Parfois, certains acteurs religieux ne sont pas étiquetés comme fondamentalistes parce qu’ils œuvrent par le biais de partis ou d’organisations caritatives prétendument laïques ou parce qu’ils disent défendre des droits.
Dans le rapport, nous avons souligné qu’il peut s’avérer plus efficace d’étiqueter les programmes de « fondamentalistes » plutôt que les acteurs. Cela permet de mettre l’accent sur leur impact plutôt que de se soucier des problèmes soulevés par le fait de cataloguer les acteurs, bien que parfois, « pointer du doigt » une organisation ou un dirigeant fondamentalistes peut-être une stratégie.
À l’heure de définir des stratégies, on s’achoppe aussi à la question de la terminologie : les termes que nous employons habituellement ne traduisent pas la réalité complexe dans laquelle nous vivons. Les termes « progressiste », « moderne », « traditionnel », ou encore « laïque » n’aident plus les féministes à décrire ce qui se passe sur le terrain, notamment en raison de l’adaptabilité et de la volonté des fondamentalistes religieux de masquer leurs programmes.
AWID : Les conclusions du rapport montrent que la laïcité n’est pas une stratégie de résistance si efficace. Pourquoi ?
C.B. : La promotion et la défense de la laïcité est une stratégie non négligeable dans de nombreux contextes, y compris dans des Etats théocratiques comme l’Iran. En effet, le rapport montre que les stratégies laïques adoptées par les féministes iraniennes ont porté des fruits.
Mais ce type de stratégie a aussi des limites. Premièrement, un Etat officiellement laïque n’est pas exempt d’influences fondamentalistes dans la pratique. C’est le cas dans beaucoup de pays d’Amérique latine et dans certains pays d’Europe de l’Est. Dans les textes, le Pérou et l’Uruguay sont des Etats laïques, mais ces pays ont établi une « Journée des enfants à naître », un évènement anti-avortement inspiré par l’église catholique. Bien que l’Etat français soit laïc, le gouvernement a soutenu la création du Conseil Français du Culte Musulman, qui a donné lieu à l’Union des Organisations islamiques de France, à caractère fondamentaliste.
Deuxièmement, le sens actuel de laïcité n’est pas suffisamment clair : s’agit-il d’une absence de religion, d’une pluralité de religions dans la sphère publique ou de quelque chose d’autre ? Les croyants ordinaires ne savent pas si la laïcité les concerne ou si elle les exclue.
AWID : Dans le rapport, on souligne l’importance de communiquer l’impact des fondamentalismes religieux. Pourquoi est-ce particulièrement important ?
C.B. : Parler de cet impact est entre autres indispensable pour forger des alliances entre celles et ceux qui sont les plus engagés dans la résistance contre les mouvements fondamentalistes, et leurs alliés naturels parmi les mouvements pour les droits des femmes et tous les mouvements pour les droits humains. Les fondamentalismes religieux ont des répercussions négatives sur tous les droits humains. Véhiculer ce message peut donc aider à mobiliser toute une gamme de militant-e-s.
Nous ne pouvons néanmoins pas supposer que cet impact est évident : Nous devons nous documenter à ce sujet. Le rapport souligne qu’il faut analyser l’impact réel du fondamentalisme religieux sur l’autonomie et la psychologie des gens. Les féministes ont montré que bien que certains fondamentalismes religieux semblent faire de bonnes actions en fournissant des services ou en militant contre la pauvreté, en faveur de l’environnement ou de l’éducation des filles, ils militent rarement pour un réel changement par l’exercice des droits et ne luttent en aucun cas pour faire avancer l’autonomie des femmes au sens large.
Par ailleurs, les militant-e-s ne sont pas toujours d’accord sur la définition de « fondamentalisme religieux » ou sur l’utilité du terme. Il peut cependant y avoir un large consensus sur l’impact négatif des fondamentalismes religieux, et c’est là un facteur de mobilisation puissant. Le rapport* et les études de cas** sur la lutte contre les fondamentalismes montrent que forger des alliances larges -avec les médias, les groupes de jeunes, les organisations LGBTQI, les organisations religieuses, les unions syndicales, les groupes de défense des droits humains, les associations médicales et scientifiques, entre autres-, pour résister et s’opposer aux fondamentalismes religieux peut s’avérer très efficace.
* Les traductions espagnole et française de ce rapport seront disponibles sur le site internet de l’AWID en 2011. Si vous souhaitez recevoir une copie PDF de la traduction dès qu’elle sera disponible, veuillez envoyer un email à cf@awid.org.
** Les études de cas sont actuellement disponibles en anglais et en espagnol. Veuillez envoyer un email à cf@awid.org pour recevoir le lien vers les traductions françaises lorsqu’elles seront postées sur notre site internet en 2011.
***
Source : AWID