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Journée d’étude "Féminismes et intersectionnalité", 8 mars 2017

vendredi 10 mars 2017, par Genre en Action

Le 8 mars 2017, le LAM (Les Afriques dans le Monde) et Genre en Action, avec la collaboration de Perspectives Plurielles Marseille, ont organisé une Journée d’étude intitulée : Féminismes et intersectionnalité – quels enjeux et apports ? Exemples des Afriques et d’autres Suds.

Cet événement a eu lieu à l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, à l’Université Bordeaux-Montaigne (France).

(RE)ECOUTEZ LES INTERVENTIONS

« APPORTS « ÉPISTÉMOLOGIQUES DE L’INTERSECTIONNALITÉ », par Hourya BENTOUHAMI, maitre de conférences en philosophie, Université Toulouse – Le Mirail, laboratoire Erraphis - Auteure de "Race, cultures, identités. Une approche féministe et postcoloniale"

« INTERSECTIONNALITÉ ET FÉMINISMES EN INDE », par Kamala MARIUS, maitre de conférence, Université Bordeaux-Montaigne, laboratoire LAM - Auteure de "Inégalités de genre en Inde, regard au prisme des études féministes postcoloniales »

« ENJEUX INTERSECTIONNELS D’UN TRAVAIL JOURNALISTIQUE EN AFRIQUE DU SUD », par Clotilde ALFSEN, journaliste indépendance diplômée d’un Master de Science Politique, spécialisé en Etudes Africaines. Clélia BÉNARD, apprentie journaliste dans la société de production Galaxie presse et étudiante au Cuej (Centre universitaire d’enseignement du journalisme à Strasbourg)

« L’INTERSECTIONNALITÉ EN PRATIQUE - RETOURS SUR LE DERNIER FORUM DE L’AWID HORIZONS FÉMINISTES, CONSTRUIRE UN POUVOIR COLLECTIF POUR LES DROITS ET LA JUSTICE, BRÉSIL 2016 », par Angélica ESPINOSA, co-organisatrice du « Village francophone » de Genre en Action au forum de l’AWID – Activiste dans la recherche-action participative visant la transformation et la justice sociale.

PRESENTATION

‘Race’, classe et genre : penser l’imbrication des dominations

Le mouvement féministe a toujours été un lieu d’inventions, de débats et de controverses, dont on a tenté de classer la diversité en termes de vagues (1°, 2° ou 3° vague) ou de courants (féminismes radical, socialiste, libéral, anarchiste, populaire, matérialiste, intersectionnel, etc.).

En France, se développe depuis une quinzaine d’années une critique radicale du féminisme dominant issu de la tradition historique (Lénel, Martin, 2012), car pour ce féminisme, tout se passe comme si la femme blanche française de souche, catholique, était la référence pour toutes les femmes, y compris pour celles de culture ou d’origine différente comme la femme musulmane.

Or, « Féminism is for everybody » disait bell hooks1 (2000), mais les façons d’analyser les rapports sociaux en cause et les modes d’action peuvent varier. C’est surtout en réaction et en rupture avec le féminisme « Blanc », dominant et hégémonique, que sont sollicités les apports du féminisme noir américain (black feminism) et les théories féministes postcoloniales. Leur intérêt est de mettre à l’épreuve ce féminisme « Blanc », considéré comme libéral et ethnocentrique, et de le confronter au regard critique de ces deux autres courants de pensée.

Les rapports de sexe et de genre, de surcroît sont pensés comme ne pouvant pas être compris sans leur dimension historiquement et géographiquement colonisée et « racisée ». Seuls, ils ne sont plus considérés comme pouvant refléter la complexité liée à la compréhension des hiérarchies et des rapports de domination que représente la multiple appartenance : de genre, de classe et de « race ».

Au-delà, d’autres appartenances peuvent venir se croiser et se combiner aux précédentes, comme l’âge, la sexualité, la caste, le statut familial, la région, la religion, etc. - selon les zones et les sujets abordés, ce ne sont pas les mêmes dimensions qui sont les plus pertinentes à retenir.

Journée d’Etude « Féminismes et intersectionnalité »
Béatrice, Lorie, Jeannine, Angélica et Elisabeth, membres de Genre en Action, étaient à Bordeaux pour des débattre d’idées stimulantes, mais aussi partager des moments d’amitié féministe.

Comment penser une base commune des mouvements féministes, en prenant en compte la complexité de l’imbrication des systèmes d’oppression ?

La nouvelle question posée est donc de parvenir à saisir comment l’articulation de ces différentes dimensions crée des situations qui, en soi, ne sont pas du tout perçues, ni prises en compte, par les mises en perspectives adoptées jusque-là dans le féminisme appelé aussi « mainstream »2 . Ce questionnement relativement récent en milieu francophone vise aussi à élaborer une théorie faisant ressortir l’intersection des rapports de domination qui sont constitués en systèmes, tels que les rapports de sexe, le colonialisme, le racisme, le patriarcat et l’hétérosexisme.

C’est ce qui s’appelle l’approche intersectionnelle, basée sur le postulat que les principaux systèmes d’oppression sont « interlocked » (inter-reliés, interpénétrés). Nous ne sommes pas face à une accumulation, une addition ou un enchaînement d’oppressions vécues, mais il s’agit « plutôt d’une position sociale en mouvance où les effets interactifs des systèmes discriminants modèlent la personnalité d’un individu unique et complexe » (Enns, 2005 ; Poiret, 2005, cité par Corbeil Marchand, 2007).

Si l’intersectionnalité s’est vue hissée au rang des plus importantes contributions théoriques de ces dernières années dans certains milieux féministes, les controverses ne se sont pas fait attendre. Certain-e-s débattent des limites de ce que Wendy Brown appelle le « multiculturalist mantra », « race, genre, classe, sexualité » (Purtschert & Meyer, 2009). Cela risque en effet d’aboutir à des guerres de culture et à une dépolitisation des analyses féministes, empêchant ainsi le féminisme de se fonder sur une base commune.

D’autres écrits féministes dominants, aux Etats-Unis ou en France, vont encore plus loin en accusant les théorisations féministes de couleur d’essentialisme de race et les réduisent aux manifestations d’une « politique identitaire ». Comme le dit Paola Baccheta (2006, 2010), « cette accusation d’essentialisme venue des féminismes blancs sert surtout à invisibiliser le propre essentialisme des féminismes blancs […] : il s’agit d’un essentialisme dominant non interrogé ». Un universalisme trop dogmatique, comportant pour certain.e.s des relents racistes, n’aboutirait en réalité qu’à une oppression de certaines femmes sur d’autres femmes, débouchant au fond sur une « colonisation discursive » avec des formes de suprématies normatives implicites ou explicites.

L’approche intersectionnelle vient interpeller de différentes manières aussi bien les chercheuses et chercheurs que les activistes et les mouvements sociaux.

Cette journée d’étude a cherché à mettre en perspective le débat autour des féminismes à la lumière des théories intersectionnelles à partir d’un prisme « Suds » (dans le sens de Global South) et plus particulièrement africain, afin d’illustrer et mettre en débat les apports de l’intersectionnalité.

1 « bell hooks » est le nom de plume de Gloria Jean Watkins. Elle avait demandé qu’on écrive ce nom sans majuscules, selon certaines sources en mémoire de l’esclavage et selon d’autres car le plus important dans ses travaux serait la « substance des livres, pas ce que je suis ».
2 « Mainstream » = courant principal et dominant, ici du féminisme.

BIBLIOGRAPHIE

Bacchetta P., « Chapitre 16 / Réflexions sur les alliances féministes transnationales », in Jules Falquet et al., Le sexe de la mondialisation, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) « Académique », 2010 (), p. 259-274.

Baccheta P., 2006, « Quand les mouvements lesbiens à Delhi questionnent les théories féministes transnationales », Cahiers du CEDREF, n°14, pp.173-204

bell hooks, 1981, Ain’t I a Woman ? : Black women and feminism, Pluto Classics

Bentouhami-Molino H., Race, cultures, identités, Une approche féministe et postcoloniale, Philosophies, PUF, 2015

Corbeil C.et Marchand I. (dir.), L’intervention féministe d’hier à aujourd’hui : portrait d’une pratique sociale diversifiée, Montréal, Éditions du Remue-ménage, 2010, 253 p.

Crenshaw, Kimberlé Williams (2005). « Cartographies des marges : intersectionnalité,
politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur », Cahiers du genre, no.39, 51-82.

Dorlin E., (2009) (dir.). Sexe, race, classe, pour une épistémologie de la domination. Paris : Presses universitaires de France, 320 p.

Lenel P., Martin V., « La contribution des études postcoloniales et des féminismes du Sud à la constitution d’un féminisme renouvelé. Vers la fin de l’occidentalisme ? », Revue du Tiers Monde, 2012/1, n°209, pp125-144

Marius K ., Les inégalités de genre en Inde, regard au prisme des études féministes
postcoloniales, Ed.Karthala, 2016

Purtschert P. & K. Meyer (2009), « Différences, pouvoir, capital. Réflexions critiques sur l’intersectionnalité », dans Dorlin E. (dir.), Sexe, race, classe. Pour une épistémologie de la domination, Paris, Presses Universitaires de France, pp. 127-146.

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